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Statement 2019 (FR) (2019)

La porcelaine, conclut Utz, était l’antidote à la pourriture..
– citation du roman «Utz» de Bruce Chatwin, (1988)

Alors que l’image numérique désormais omniprésente brille sur les écrans, la photographie imprimée – le principal objet d’archive de notre existence – s’estompe. La mémoire fait partie intégrante de mon travail et la disparition soudaine d’un objet aussi familier et physique est un thème sur lequel je me suis concentré. De quoi nous sommes-nous si facilement séparé? Pour examiner cette question, j’imagine comment la photographie imprimée pourrait être perçue dans un avenir lointain – comme un récépissé fragile, un fossile, une demi-vérité, ce qui reste d’un moment envoûtant du passé. Les photographies imprimées sont des instants capturés du mouvement de la lumière, fossilisée dans du papier. Comme des souvenirs, ils risquent de disparaître complètement. Dans cette ère numérique, tout ce que nous avons maintenant est la fusion éphémère de pixels formant des preuves virtuelles et illuminées de moments passés, et de moments présents.

Le plomb, le feutre, le graphite, le marbre et la porcelaine sont autant des matériaux organiques que j’utilise dans mes peintures, mes dessins et mes installations. La porcelaine, une composition de minéraux antiques puisés dans les profondeurs même de la terre, me permet de réinventer des photographies imprimées en tant qu’images-objets. Le résultat obtenu oscille quelque part entre la peinture en deux dimensions, et la sculpture, tridimensionnelle. Ces peintures en trois dimensions, interprétations de photographies sur de la porcelaine cuite au four, ressemblent à des photographies imprimées qui se sont métamorphosées en un état second; ces fossiles ou «phossiles» comme je les appelle – des moments passés capturés et pétrifiés en porcelaine par une extrême chaleur, son acolyte alchimique et nécessaire.

La mémoire se dégrade, inévitablement. Une photographie est un antidote symbolique à cette perte, permettant aux gens de revisiter leur passé sous forme de fragments d’histoire personnelle, couchés sur papier. Avec l’ère numérique repoussant les limites de la photographie analogique, l’enregistrement de nos passés individuels et collectifs est en train de changer. Un chapitre important de notre histoire pré-numérique sera mené à s’effacer. Ces peintures, ces “phossiles” avec leurs formes voilées, parfois même tordues, et leurs images suggérant des moments éphémères, encouragent la mémoire et l’imagination à se confronter, offrant ainsi une alternative durable, pérenne – la porcelaine.

Je présente mon travail sur la porcelaine sous forme d’installations, souvent étayées par des peintures et des dessins. Ces installations intègrent des paysages sonores sur-mesure et utilisent divers supports physiques, notamment des porcelaines immergées dans l’eau, suspendues à des mobiles, placées sur des objets ou des meubles trouvés. En 2018, j’ai été invité à Susak Expo, une biennale internationale de l’art en Croatie, pour interpréter mon travail «Susak Sentinels». Cette performance consistait à créer 12 peintures sur porcelaine représentant des images de feu sous toutes ses formes, puis à plonger en apnée dans la mer Adriatique pour déposer et laisser couler de leur propre inertie chacun de ces douze “phossiles” sur le fond marin, autour de l’île de Susak. Ils sont sans doute encore là, quelque part.

CB 2019