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Artiste en Residence au Lycée Georges Pompidou (FR) (2021)

Nos mémoires partagées.
 
Comme tout un chacun, je suis confiné chez moi à cause d’un microorganisme. Le monde a changé, peut-être pour toujours. On pourrait dire que le temps est suspendu, une pause avant que la frénésie globale ne reprenne son cours.

Ma résidence au Lycée Georges Pompidou a pris fin un peu avant le confinement. Un confinement qui m’a offert la possibilité de rassembler mes pensées et stimuler mes souvenirs de ces cinq semaines passées au Lycée. A savoir comment le monde forgera une mémoire collective de cette période.

Durant les cinq semaines de ma résidence, les lycéens, les professeurs, les élèves du Collège du Crès, les résidents de l’EHPAD et moi-même avons pu partager nos souvenirs personnels, collectifs, nationaux, internationaux et universaux, à travers des photographes, des anecdotes et des groupes de discussion autour de mon propre travail. 
Le chemin entre ce point de départ et l’installation collaborative de fin de résidence a permis aux lycéens d’apprécier l’importance de la mémoire dans nos vies. La génération d’aujourd’hui immortalise les instants dans un objet qui tient dans la paume de leurs mains. Et bien qu’à portée de main, ces souvenirs fugaces se glissent dans le réseau complexe et impersonnel des pixels, inhibant peut-être ainsi la relation avec leur passe, leurs souvenirs.

La résidence a commencé le 24 septembre 2019 par une exposition de mon travail personnel des dix dernières années comprenant des œuvres grand format ayant trait à l’histoire et la mémoire comme Guernica, L’inauguration d’Obama, Martyrs, Dictateurs, ou encore ancrés dans ma vie personnelle. Une installation intitulée « Ghostwalkers » exposant le sort des réfugiés syriens servait de point focal de l’évènement.
Plus de 700 élèves, professeurs et personnes âgées de l’EHPAD voisin ont visité cette exposition, souvent pendant une heure entière. Certains professeurs avaient organisé leur propre projet et se sont servis de l’exposition comme point de discussion pour alimenter le travail de classe. Les écrits qui en ont découlé, spontanément dans la salle d’exposition ou bien en classe, témoignent de la richesse et clarté de l’opinion des jeunes sur l’art. 
Je n’avais jamais parlé dans des termes si détaillés ou débattu si ouvertement de mon art auparavant. Une expérience riche qui m’a permis d’utiliser mon travail comme outil de discussion, spécialement avec les jeunes qui font souvent preuve de curiosité et de grande ouverture d’esprit.

A la fin de chaque visite, j’ai proposé aux élèves qui le voulaient de se porter volontaire pour participer à l’exposition collaborative « Living Room » qui clôturerait ma résidence.  Les cinquante volontaires avaient pour tâche de trouver des photographes chez eux. Mon souhait était que cet exercice engendrerait des discussions, sur les histoires familiales, souvent tues. Je ne m’attendais pas du tout à l’abondance de photographes et anecdotes éclectiques qui allait surgir.  Des histoires personnelles fascinantes, parfois tragiques, des récits provenant du monde entier ont fait surface, pour la plupart des cas, en relation avec des personnages et grands moments de l’histoire : la révolution russe, la guerre civile espagnole, la seconde guerre mondiale, la France de Vichy, la résistance, la guerre d’Algérie, l’holocauste et l’immigration en sont quelques exemples. D’autres photographes provenaient d’album de famille dont l’intimité avait grande valeur.

Une fois rassemblées, j’ai encouragé les lycéens à peindre ces photographes (quelques fois directement à partir de leur téléphone) sur de la porcelaine biscuit suivant une méthode que j’utilise depuis des années. Au cours d’un atelier d’un peu plus d’une semaine dans le CDI, j’ai montré aux lycéens ma technique de peinture sur porcelaine en utilisant des oxydes noirs et de cobalt – des biscuits qui seraient plus tard cuits dans un four. Pour les lycéens, le but n’était pas de reproduire ou de copier leurs photos, mais plutôt de projeter leur mémoire sur un support en porcelaine, un matériau qui, une fois cuit ne peut se détériorer. Afin d’éviter une approche illustrative détaillée, je leur ai demandé d’utiliser des coton-tige et non des pinceaux. Cette méthode permet d’adoucir les traits, le résultat étant souvent estompé, manquant de détail comme la mémoire elle-même.

Il faut du courage pour créer, pour exposer son expression, pour la rendre publique. Tous les lycéens ont relevé ce défi et ont produit des résultats à la beauté fascinante et émouvante. Certains ont choisi des images de personnes chères et disparues, d’autres ont peint des membres de leur famille qu’ils n’ont jamais rencontrés. Parmi toutes ces histoires touchantes, celle scannée par un lycéen sur son téléphone.  On y voit une famille se tenant devant une roulotte dans les années 30. Une famille gitane de saltimbanques et acteurs. Des ancêtres jamais connus, exterminés durant l’holocauste. Le récit d’un destin que le lycéen avait récemment appris. L’interprétation sur porcelaine d’une époque que le lycéen ne connaissait qu’à travers des livres d’histoire était d’une puissance indéniable. A la fin de l’atelier, nous avions produit 64 œuvres sur porcelaine et plusieurs centaines de peintures préparatoires sur carton.

En collaboration avec les lycéens, la troisième partie de ma résidence s’est concentrée sur la préparation et la construction de l’installation « Living Room » dans la salle polyvalente du Lycée. Offerts gracieusement par Emmaüs Vendargues, les meubles et objets variés sélectionnés lors d’une visite ont permis la création d’une installation d’un salon standard. Un espace domestique et intime contenant mobiliers et ornements faisant partie du quotidien de tout un chacun. Le travail sur porcelaine des lycéens y serait intégré, incorporé dans les meubles, glissé dans les pages d’un libre, mis en équilibre sur un objet donné, niché dans une chaussure et ainsi de suite. Notre intention était de montrer que la mémoire existe dans tout ce qui nous entoure, et pas seulement dans le cadre d’une image. Après tout, une chaussure usée témoigne des multiples pas parcourus.

En parallèle, j’ai invité mon ami et compositeur James S Taylor à participer cette résidence. James a demandé aux lycéens de considérer la mémoire auditive et d’enregistrer bruits et sons provenant de leur vie quotidienne sur leur téléphone, sans aucune discrimination : le ronronnement d’un chat, une imprimante qui imprime, frappement a la porte d’une classe, une mamie qui laisse un message téléphonique, des gens qui rient, une personne qui chante… tout ce qu’ils entendaient ! Avec tous ces fichiers audio, James a composé un environnement sonore multicanal englobant toute l’installation. Ce son surround enveloppait l’intégralité de l’espace d’installation avec des sons randomisés fournis par les lycéens. A l’évidence, la mémoire auditive est tout aussi vitale que la mémoire visuelle et, l’association de l’une à l’autre produit un effet puissant : « Living Room ».

Quelques 550 personnes ont visité cette exposition, y compris l’EHPAD et deux visites des élèves du collège du Crès, et notamment une classe pour laquelle le professeur d’art avait mis en place un projet autour d’un photo de moi.  Encore une fois, nous avons discuté très ouvertement de cette exposition avec les Lycéens de Georges Pompidou mais leur analyse était différente car tous, d’une façon ou d’une autre, avaient contribué à la création de cette installation du début à la fin.

J’ai abordé ce projet exactement comme j’aurais abordé tout projet personnel et les résultats sont tout aussi étonnant que réjouissant. 
Cette collaboration a pu toucher les spectateurs sans tomber dans la nostalgie. Nous avons créé un salon vecteur de la mémoire collective et personnelle, un Living Room.  Les étudiants ont apprécié, je l’espère, la possibilité de travailler aux côtés d’un artiste et de contribuer à la création d’une œuvre artistique basée sur leurs histoires personnelles.
 
Dans cette période de confinement sans précèdent, les élèves et visiteurs de la « Living Room » observeront peut-être leur environnement et leur quotidien d’un autre œil. Et qui sait, ils regarderont peut-être un vieil album de photos déniché au fond d’un tiroir, pour passer le temps et se rafraichir la mémoire.

Un grand merci aux lycéens et au personnel du Lycée Georges Pompidou pour votre confiance et cette expérience inoubliable.

Charlie Bonallack
08/04/2020